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Antonio Schuback, free-lancer...

Dernière mise à jour : 30 juin 2020

« Je ne vois pas beaucoup de Latinos-Américains

dans les fashion-weeks »



« Um sorriso largo », éclaire son visage. Antonio est la bonne humeur personnifiée. Il en est de même avec son univers haut en couleur qui transmet immédiatement des ondes positives. Il se décrit d’ailleurs lui-même comme un « punk tropical ». Ce talentueux free-lancer, de 25 ans, nous parle de sa vie, de son travail aussi mais également, à travers son regard de connaisseur, de l’industrie de la mode à Rio et au-delà. Une conversation à bâtons rompus dans son appartement de Botafogo.




Après quelques échanges sur Instagram, nous fixons un rendez-vous : ça sera chez lui, dans le quartier de Botafogo. Dès notre arrivée, nous sommes envahies par son monde. Il y a des cartons partout, des piles de livres triés par ordre d’intérêt (une pile pour la mode, une autre pour le design, une dernière pour les coups de cœur en tout genre), des objets incroyablement insolites et d’innombrables colis que lui envoient des marques brésiliennes... C’est un désordre qui trouve son harmonie. Antonio a peint ses murs en rose, il voit déjà son grand lit et son dressing installés. Il nous explique qu’il est en plein emménagement, que son appartement est petit mais cosy : il est heureux de l’avoir trouvé. C’est le quartier de son enfance. Et puis, c’est horriblement cher ici : il peut se l’offrir et s’estime donc chanceux. On se sent bien dans la chaleur douce de ce petit nid douillet déjà confortable. Quelques blagues fusent sur l’eau courante de Rio qui a été contaminée, il nous offre un coca dans un grand verre-cactus. Antonio sait mettre à l’aise et se prête à notre interview avec une gentillesse incroyable.



- Intéressons-nous d’abord à votre parcours. Qu’est-ce qui vous a mené à travailler dans le monde de la mode et à devenir consultant en mode ?

- Antonio : J’ai fait une école de design graphique. Je n’étais donc pas destinée à travailler dans ce domaine. Je me suis donc construit moi-même dans le milieu.

On danse et on chante beaucoup ici vous savez. Un ami organisant le concert d’un groupe très connu (enfin il ne l’était pas encore à l’époque) « Dream Team do Passinho », je me suis proposé de l’aider. Il m’a demandé « tu peux t’occuper de leurs tenues ? », je lui ai répondu : « pourquoi pas ? ». J’avais 19 ans, j’en ai 25 aujourd’hui. C’était ma première expérience dans le monde de la mode. J’ai commencé à être consultant sans être rémunéré donc... puis j’ai décidé d’évoluer... Je voulais être payé pour mon travail. Mes débuts se sont faits avec des stars de ce milieu, et d’autres célébrités, puis j’ai travaillé pour des marques, participant à plusieurs shootings photos et aux différentes campagnes associées. Maintenant, je suis free-lancer. Mon plus gros client est un magasin du nom de Garimppo. Je suis leur consultant en mode : je fais tous les shootings, trouve les concepts et m’occupe de la création, du stylisme.


- Oh vraiment, vous arrive-t-il de toucher à la machine (à coudre) alors (rire) ?

- Ohh non. Je fournis juste les idées.


- Quelles sont vos inspirations alors? Vous nous avez parlé de l’importance de la musique au Brésil par exemple… en fait-elle partie ?

- J’aime m’appeler moi-même le « punk tropical » (rire). Regardez-moi… Punk car je suis le genre de type à porter beaucoup de bagues, à avoir plein de tatouages et mes cheveux sont teints... mais je suis aussi totalement « tropical » : j’aime utiliser des motifs qui le rappellent. Il est aussi très important pour moi d’ajouter à chaque fois une petite touche « fun » à mon travail. C’est ça mon véritable moteur : l’amusement et un peu de sens de l’humour. Ça m’accompagne toujours lorsque je travaille et quand je crée. J’aime aussi « voir » les gens. Je veux dire mon inspiration émane également d’eux. Je les traque parfois dans la rue, je les observe et analyse leur tenue, leur démarche et leur personnalité.


- Et niveau organisation... Suivez-vous des étapes précises lorsque vous travaillez ?

- Cela dépend vraiment de ce que je fais. L’année dernière, j’ai créé une collection avec une marque... j’ai du d’abord faire des recherches puis j’ai regardé ce que j’aimais vraiment et j’ai commencé à faire du tri, en répertoriant dans des groupes ce que j’avais pu trouver. Cette première terminée, j’ai commencé à m’intéresser au thème. D’ailleurs, il est bon de remarquer que le processus est différent lorsque je crée ou lorsque je m’occupe d’une campagne. En effet, dans le dernier cas, je m’occupe du thème en premier! Par exemple, je pense « festival vibes » et pouf, le reste vient tout seul après.


- Vous nous avez dit que vous vous étiez construit par vous-même et que vous aviez appris sur le tas. Pensez-vous malgré tout qu’une formation soit quand même nécessaire pour travailler dans cette industrie ? Nous aimerions connaître les points positifs ou négatifs de l’une ou l’autre de ces deux options !

- Malheureusement au Brésil, et plus particulièrement à Rio, il n’y a pas de bonnes écoles de mode. Nous en avons d’excellentes qui touchent à la création de costumes (qui servent au cinéma, au théâtre) mais pour la mode...il n’y a rien. Habituellement, je répète donc aux gens qui me le demandent que j’ai tout appris en travaillant. C’est vraiment la meilleure option.


- Nous sommes en pleine période du carnaval. C’est d’ailleurs, en général, lui qu’on associe au pays, après le foot (rire). Pensez-vous que celui-ci influe également le monde de la mode brésilienne (en se plaçant, notamment, en tant que source d’inspiration) ? Ou bien pour vous, ce sont deux éléments totalement différents ?

- Je pense en fait que c’est bien le carnaval qui suit la mode et non le contraire. Par exemple, cette année, je vois beaucoup de costume avec des strass. Vous connaissez la série "40" ? Eh bien, on voit un peu le même genre de tenues avec du brillant, des strass, de la transparence. Donc, c’est bien le carnaval qui suit la mode. L’année dernière, c’était surtout des costumes avec des couleurs néons parce que c’était le thème.


- C’est étrange ce que vous nous dîtes. Depuis l’Europe, on a le sentiment que c’est bien le carnaval qui semble pourtant s’imposer comme une inspiration…

- Au Brésil, et plus particulièrement à Rio, c’est un peu paradoxal. Ici, tout comme peut-être aussi dans des lieux comme Bali, la Californie et Miami, il y a une grosse industrie du vêtement de plage/maillots de bain... parce que nous vivons vraiment à la plage (rire). C’est juste là…nous sommes si proches! Donc je pense que ce genre de choses ne marche qu’ici. Le carnaval est aussi un événement très important pour les cariocas... mais ces derniers ne vont plus juste acheter un costume pour l’occasion... ils veulent investir dans des tenues qu’ils mettront toute l’année... même une fois le carnaval passé. Cela n’ôte pas de son importance. C’est vraiment quelque chose d’énorme. C’est presque mieux/plus gros que Noël. Cependant, encore une fois, je ne pense pas que la mode brésilienne puise son inspiration de là. C’est un moment où on transmet au contraire NOS inspirations... C’est plutôt incroyable car nous avons plus de liberté pour créer, et on le ressent. Des hommes s’habillent en ballerines, il y a partout des couleurs... c’est vraiment bien. Le carnaval est presque politique, il faut dire. C’est vraiment puissant. Actuellement, il y a des discussions sur ce qu’on devrait porter ou non : si vous êtes une personne blanche vous ne pouvez pas porter de tenues indigènes, ou issues de la culture africaine par exemple ; si vous êtes un homme, vous ne pouvez pas porter des tenues de femmes... et pourtant, il y a un mouvement transsexuel très important. C’est donc un événement plutôt politique. On peut VRAIMENT s’exprimer. Les gens sont ouverts d’esprit.


- Effectivement, il est bon de voir que la façon dont on s’habille incarne une sorte d’évolution sociale... mais est-ce que dans l’univers de la mode brésilienne, on prend également en considération d’autres enjeux également, nous pensions notamment à l’environnement ?

- Au Brésil, la conception d’un produit écologiquement responsable revient très chère. Il y a des marques qui font un peu semblant mais honnêtement… c’est compliqué. Il y a un monde entre ce que l’équipe marketing dit du produit et ce qu’il est vraiment. Elle affirme que l’entreprise agit dans un sens éthique mais en réalité ce n’est pas le cas : c’est souvent du greenwashing donc. L’exemple type est celui de cette grosse marque qui s’appelle « Halma ». Elle explique fabriquer ses produits en réutilisant des matériaux inutilisés ou recyclés... ce genre de choses ... mais cela est controversé. Cependant, il existe quand même quelques projets. Ainsi des marques fabriquent leurs lunettes de soleil à base de pailles. Toutefois ce genre d’initiatives au Brésil reste vraiment limité puisque comme je le disais, cela est très onéreux. Je pense aussi qu’être « responsable »... ce n’est pas seulement être axé sur l’environnement, mais penser également aux personnes. C’est un aspect très présent au Brésil. On réfléchit beaucoup à la clientèle que l’on veut cibler, qui sont ces femmes auxquelles on veut vendre nos produits, quel type de corps elles ont, etc. Il faut s’adapter à leurs désirs, leurs exigences. Regardez, par exemple, cette pièce. C’est fait à la main. Les gens recherchent davantage ça maintenant. Les marques doivent donc s’adapter et produire quelque chose qui plait - plus que réellement éthique.


- Qu’est-ce qui plait justement actuellement aux Brésiliens aujourd’hui ? Quelles sont les tendances du moment ?

- Les serre-têtes peut-être à cette période de l’année, les shorts baggy aussi… mais laissez-moi penser à quelque chose de plus spécifique...


- Peut-être à une marque particulièrement tendance au Brésil (en ce moment) ?

- Oh ! Il y a Farm Rio ! Je veux dire... maintenant c’est une grosse marque... Elle vient d’ouvrir un magasin à New York... et elle propose vraiment des affaires brésiliennes! C’est un bel exemple d’ailleurs d’une réussite brésilienne à l’internationale. Sinon, je pensais surtout à cet état d’esprit qui s’est imposé comme tendance : celui de pouvoir porter ce qu’on veut quand on veut, peu importe ta silhouette. Le mouvement du

« bodypositive » est assez important actuellement.


- En Europe, on dit souvent que les Brésiliens alimentent le culte du corps et de la beauté... cela vous paraît-il être un cliché ?

- C’est plus complexe. Tout a commencé avec l’industrie de la mode et les tailles qu’elle imposait. Ces dernières étaient vraiment petites... et les gens ont commencé à se plaindre. On est plutôt engagés ici, et on rend tout « politique » (rire) comme je le disais. On utilise d’ailleurs beaucoup internet que ça soit pour discuter d’une bonne ou mauvaise chose. Par exemple, quand un homme ne respecte pas une femme, tout le monde le sait rapidement. Donc lorsqu’une marque clame qu’elle conçoit des vêtements pour « tout le monde » et qu’elle ne le fait pas VRAIMENT, elle se fait boycotter. Nous avons également des marques qui ne produisent que des vêtements pour les grandes tailles. Il y a aussi des événements qui leur sont réservées. Je pense notamment à un énorme festival qui a lieu chaque année à São Paulo et qui est dédié aux personnes qui taillent au-delà du 44.


- Est-ce également visible au sein même de la représentation de la mode ? Nous pensons aux modèles ?

- Oui absolument. Connaissez-vous la chanteuse Lizzo ? Elle est assez connue mais n’est pas vraiment fine. Elle est venue au Brésil et a posté beaucoup sur des marques brésiliennes qui font surtout des bikinis ou ce genre de choses dédiées aux personnes qui ne faisaient pas forcément une taille 34. Je trouve ça vraiment bien. Je veux dire que ce mouvement est une bonne chose ... et il est vraiment fort au Brésil, plus particulièrement à Rio et à São Paulo, puisque ce sont les deux villes brésiliennes où la mode est vraiment présente. Oh à Salvador de Bahia également, ce mouvement a pas mal d’influence !


- Pensez-vous que la mode brésilienne peut percer au niveau mondial ?

- C’est drôle, mais quand je vois les différentes fashion weeks que ce soit à New York, Milan, Paris ou autres grands événements de la haute couture, je ne vois pas beaucoup de Latino-Américains. Je le regrette un peu... Pourtant, on fait vraiment des trucs chouettes. Je ne parle pas forcément de la représentation de la mode brésilienne traditionnelle mais celle, plus contemporaine. J’aime les vêtements exprimant une mode un peu plus « expérimentale ». Ce n’est pas rare au Brésil. On fait de bons designs ici et je ne sais pas si à New York ils le savent, ou vous en France... Casa dos Criadores, par exemple, est une sorte de défilé alternatif avec un très joli design. C’est ce qu’il me manque en fait vous voyez. Ce genre de connexion. J’adore Balenciaga, j’adore Gucci... tous ces grands noms mais ça me manque.


- Mais peut-être ces derniers prennent justement leur inspiration (parfois) du Brésil...

- Oui, bien-sûr! Du Brésil et d’ailleurs, de partout sans doute.


- On pensait par exemple à Victoria’s Secret qui a quelques touches brésiliennes dans ses défilés exceptionnels !

- Absolument. Il y a quelques années, un créateur célèbre a aussi mis pas mal de plumes dans son défilé... cela n’était pas sans rappeler notre carnaval. Et j’aime ça ! Ça manque encore. J’aime également beaucoup la mode japonaise pour le potentiel qu’elle peut aussi avoir (et là encore, on les regrette sur les podiums des grands événements).


- En France, si on ne voit pas beaucoup de cette mode brésilienne alternative, on voit quand même beaucoup de blogueuses brésiliennes avoir de plus en plus d’emprise sur ce monde... comme Instagram est l’un de vos outils principaux, pouvez-vous nous dire comment vous vous en servez?

- Comme je disais, internet est vraiment quelque chose d’énorme au Brésil, c’est un outil redoutable que ce soit positivement ou négativement. Regardez par exemple durant les élections, le nombre de fake news qui y circulent ! On l’utilise n’importe quand. D’ailleurs pour en revenir à mes inspirations, je disais que j'observais beaucoup les gens dans la rue mais c’est aussi le cas sur internet ! C’est pourquoi je pense que les blogueurs ont quand même beaucoup d’influence au Brésil. Regardez, j’ai un peu plus de 10k abonnés, ce qui n’est pas énorme comparé à certains. Et pourtant, je reçois beaucoup de produits. Internet est donc directement lié au monde de la mode.


- Mais comme nous l’évoquions, même en France, certaines Brésiliennes se démarquent nettement dans cet univers... je ne sais pas si vous connaissez Cristina Cordula (rire) !

- Oui, bien sûr. Cependant, le genre de tenues qu’elle porte et poste en France n’est pas vraiment similaire à ce qu’on peut voir ici. Donc, il y a ce genre de grosses personnalités brésiliennes qui ont traversé l’Atlantique et qui sont très respectées là-bas... mais au Brésil, c’est aussi un gros phénomène. Je pense notamment à l’ex-petite-amie de Neymar... elle a dorénavant une énorme communauté. Bien sûr elle était déjà connue avant, puisqu’elle est actrice mais maintenant c’est encore plus flagrant : les gens veulent savoir ce qu’elle fait, ce qu’elle porte (nous publierons bientôt notre entretien avec la créatrice de Poch Me qui a vu sa notoriété exploser le jour où Bruna Marquezine l’a repostée). Pour les personnes du milieu, si tu as un bon Instagram tu peux avoir un métier et un salaire ! Je n’ai pas de site internet (même si j’essaie actuellement d’en faire un) et pourtant on me repère sur Instagram déjà et ça me suffit. Les médias sont très importants au Brésil donc.



Pour terminer l’entrevue de manière plus décontractée, Antonio nous a fait l’honneur de nous faire découvrir quelques pièces de sa collection personnelle qu’il aime beaucoup.




Merci à Antonio Schulback. Nous remercions également Mia pour son aide précieuse.

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