Dans la plus grande ville du Brésil, particulièrement dans le quartier du Brás, la confection s’est peu à peu imposée face à la traditionnelle industrie du textile, au gré de vagues migratoires successives, venues d’Europe, d’Asie et du continent américain, mais aussi grâce à une croissance de la consommation urbaine.
Lorsque nous atterrissons à São Paulo, notre vision est saturée par des tours immenses, comme clonées sur des kilomètres à la ronde. Construite sur le modèle de New York, sa grande sœur d’Amérique du Nord, la ville comporte d’ailleurs un gratte-ciel inspiré des formes de l’Empire State Building : l’Altino Arantes.
Il est certain que de marcher dans la gigantesque cité a de quoi nous faire sentir tout petit... Une surenchère de hauts immeubles géométriques, une accumulation de couleurs et de forme insolites: on trouve une certaine harmonie dans cette jungle urbaine. Cette diversité de styles s’illustre parfaitement lors d’un passage au quartier historique, le centre Velho. C’est aussi un lieu frappé par la pauvreté et les inégalités de richesse du pays comme le prouve par exemple, la triste vision des sans-abris s’étalant devant la porte du Palais de Justice. Au nord du quartier, on s’étonne pourtant d’une autre ambiance : celle de Liberdade, le quartier japonais, si immersif au point de nous plonger en pleine Asie, à quelques milliers de kilomètres de là.
Passée la balade, il est temps pour nous de nous poser un peu plus au Sud, à Brás, le quartier de prédilection du textile. Voici ce que l’on y a découvert.
« BRÁS » AU CŒUR DE L’INDUSTRIE DU TEXTILE
À quelques minutes de l'hyper-centre de São Paulo se trouve le quartier de Brás, où l’industrie textile a joué un rôle important dans l’économie locale. En effet, celle-ci prend racine avec l'arrivée des migrants italiens à la fin du XIXè siècle. Ces derniers développent la production de tissus grâce à des entreprises familiales.
Puis vers 1920, des migrants juifs d’Europe de l’Est lancent la confection de vêtement de détail et de gros ... ce qui lui donne par la suite sa forte empreinte industrielle.
Enfin, le textile de Brás a fortement été influencé par les vagues de migrations, dans les années 1930 avec les Grecs, entre 1960-70 avec les Coréens ou encore entre 1990-2000 avec les Boliviens et paraguayens.
Aujourd'hui, c’est l’influence coréenne qui prime sur le quartier, donnant ainsi le ton: Brás s’inscrit alors comme une place tournante du textile pour les revendeurs de gros. Ici, les vêtements atteignent les grossistes de l’ensemble du pays, alimentant un marché de consommation massif - le cinquième au monde - à des prix très compétitifs.
LES CHINOIS, LES GRANDS FOURNISSEURS
Pour faire face à la compétition d’outre-mer, les entreprises s’adaptent. Edson Cravalho, dirigeant de Plus Size Homem nous explique que, petit à petit, la production de Brás a été délocalisée, essentiellement en Chine, où se trouvent également les matières premières, car cela revient beaucoup moins cher. En outre, le pays possède les techniques pour produire certains vêtements. Edson nous montre alors un anorak « made in China » dont le prix de 20 dollars de sortie d’usine chinoise équivaudrait au prix d’une simple modélisation au Brésil.
Cela n’empêche pas la confection locale. L’exemple de l’entreprise Ouro Prata Textil, qui lance des collections de vêtements pour femmes à chaque saison, est symbolique. « Acheter nos matériaux en Chine revient moins cher pour une entreprise qui fait du ‘‘fast-fashion’’ », déclare Gabi Bessa, assistante marketing de l’enseigne. Le reste de l’assemblage est ensuite réalisé dans le sud du Brésil. À l’origine de l’idée : la créatrice Ms. Tae, une Sud-Coréenne. Cette dernière s’est inspiré de la mode européenne pour la remettre à jour au Brésil en adaptant les modèles aux formes voluptueuses brésiliennes. Et encore une fois, les réseaux sociaux ont le vent en poupe ! Selon Gabi Bessa, « Instagram est notre vitrine, 100% des clients viennent d’Instagram, c’est vraiment quelque chose d’énorme ici ». L’enseigne commercialise ses vêtements auprès d’une trentaine de points de vente au Brésil surtout et également en Bolivie, en Uruguay et au Paraguay.
Il y a des exceptions comme le prouve la production de jean confectionnée localement. En effet, celui-ci est ancré dans la culture brésilienne ... ce qui n’est pas étonnant quand on sait que le pays est le quatrième producteur de cotons au monde. En se baladant le long de deux grands axes du quartier, la « rua Xaventes » et « rua Mendes Junior », on trouve pléthore de revendeurs de jean local. Et où sont-ils produits ? Au nord du Brésil -car cela revient moins cher qu’à São Paulo même- tandis que la ville est désormais une place de revendeurs textiles.
D’ailleurs comme à Medellin, chaque magasin est rangé selon sa spécialité à Brás, ainsi à côté du jean, vous trouverez toute une allée de mode pour femme rue Casemiro de Aneu.
LA MODE « PLUS-SIZE », UN MARCHÉ DE TAILLE
Dans les rues de Brás, on remarque aussi un nombre flagrant de boutiques grandes tailles.
C’était le cas pour Plus Size Homem que nous avons précédemment évoquée. L’enseigne d’Edson Cravalho propose, en effet, des jeans et des polos pour homme à plus forte corpulence. Après avoir travaillé durant 30 années dans l’industrie du vêtement, il a décidé de se spécialiser dans le « plus-size », présentant une forte demande au Brésil. L’homme nous évoque son négoce avec force et conviction, dans un anglais presque parfait... une ligne directrice s’affirme alors : « tout repose sur la qualité du tissu ». Par exemple, la matière ne doit ainsi pas rétrécir au lavage sinon elle n’est plus utilisable.
Il faut dire que la mode grande taille gagne du terrain. Que ce soit des défilés ou des événements spécialement dédié aux tailles supérieures à 44, on peut dire que le Brésil a connu une véritable démocratisation du plus size.
Selon l’association brésilienne plus-size (ABPS), le secteur a connu une croissance de 7,9% en 2017, pour une valeur s’élevant à 1,25 milliards d’euros (7,1 milliards de réals brésiliens). Et pour cause : la moitié de la population est en surpoids. Un succès qui s’explique par des brésiliens qui espèrent enfin trouver des vêtements à leur taille mais aussi à leurs goûts.
D’ailleurs, le Fashion Weekend plus size est l’un des événement phare de ce segment de marché. Né à Sao Paulo en 2010, il n’a dès lors eu de cesse de grandir. L’édition de 2019 a accueilli 14 marques lancées par des femmes rondes pour présenter leurs collections Printemps-Eté de l’année.
Entre les marques, les blogueurs et les agences de mannequins qui florissent, la mode plus-size a bien de beaux jours devant elle. Pour compléter nos dires, nous avons rencontré un des acteurs du secteur, l’agence Sao Plus Size.
SAO PLUS SIZE
À son origine, il y a 9 ans se trouve Paulo Gino, photographe professionnel qui a travaillé pendant 10 ans pour des agences traditionnelles avant de lancer son affaire dans le plus size. Il a vu là une opportunité dans le secteur, poussé par son attrait pour les femmes rondes : « I’ve always liked the chubby style ». Quelques critères sont requis pour les mannequins, notamment le fait qu’elles fassent entre 44 et 60 de taille, qu’elles soient photogéniques et sympathiques « serait un plus ». Le message de Sao Plus Size est clair: c’est le modèle et sa personnalité qui sont valorisés plus que son poids.
L’agence travaille avec différentes marques, C&A, Riachuelo et Marisa notamment. L’activité est très variée, d’ailleurs, l’année dernière trois de ses mannequins ont participé à une téléréalité japonaise pendant deux mois autour de la cuisine.
Avant de connaitre le succès, l’entreprise a eu des années plus difficiles. « Ce n’est pas évident de convaincre une femme de venir ici », explique le gérant, car la plupart ne pensent pas que soit possible de faire du mannequinat en ayant une grande taille. Pour cela, le photographe essaie de faire ressortir le meilleur d’elles sur ses photos. Il veut surtout qu’elles se voient telles qu’elles sont: de belles femmes. En les maquillant, les habillant et engageant la conversation, Paulo Gino les met alors en parfaite confiance ... et cela se ressent sur les nombreuses photos que l’on retrouve dans les gros albums ou les murs de son bureau.
FORMES : S’AIMER TEL QUE L’ON EST
Le Brésil est très connu pour son culte du corps. Les femmes aux courbes sculptées et filiformes restent d’actualité, et il suffit de voir le nombre de top-modèles brésiliennes défilant sur les podiums internationaux.
Pourtant, les mannequins aux dimensions parfaites ne sont plus les seuls idéaux représentés. D’après Paulo Gino, l’industrie de la beauté a beaucoup d’importance car c’est culturel de bien entretenir son corps au Brésil mais l’image de la beauté a évolué: « petit à petit on va chercher à comprendre ce qu’est la beauté intérieure d’une femme, qu’elle soit une personne heureuse et bien dans sa peau compte de plus en plus ». C’est l’ère du body positivisme. Si le surpoids a longtemps été perçu comme quelque-chose de négatif, la mode du « plus-size » nous montre bien qu’un homme ou une femme avec du poids peut aussi être en bonne santé. Le tout est de s’aimer tel que l’on est. Un corps est si beau lorsqu’il est décomplexé.
Néanmoins, il existe encore des récalcitrants : ceux qui ne trouvent pas cela esthétique, ceux qui estiment que la culture du « grande taille » n’est pas gage de santé.
Enfin, les concours de Miss sont également touchés par cette évolution. Au Brésil, ils sont fréquents et il y en a pour tous les goûts, que ce soit Miss voisine, Miss été, Miss fraise… L’apparence est toujours importante dans le pays-roi du carnaval. C’est un univers très banalisé. D’ailleurs, Sao Plus Size a deux participantes au concours de Miss Brazil Plus Size. Néanmoins, ce genre de concours ne démontre finalement peu de choses: la plupart du temps il suffit de payer pour y avoir sa place. Ainsi même si la beauté grande taille révolutionne les standards, et convainc par sa volonté d’exister, il lui faut compter encore du temps pour qu’elle soit davantage prise au sérieux.
NOS INTERVIEWS :
-Edson Cravalho, dirigeant de Plus Size Homem, qui commercialise des jeans et des polos pour homme grandes tailles. Il a plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie du vêtement.
-Paulo Gino, photographe et directeur de l’agence Sao Plus Size
-Gabi Bessa, Assistante Marketing chez Ouro Prata Textil
-Ana Paula Aires, Assistante en style pour Ouro Prata Textil
-Franz, couturier chez Ouro Prata Textil. Il a appris à coudre en Argentine, d’où il est originaire.
SOURCES COMPLÉMENTAIRES:
https://ww.fashionnetwork.com/news/Brazil-s-plus-size-women-want-fashion-that-fits,192211.html
https://www.lexpress.fr/styles/mode/le-bresil-se-met-a-la-mode-rondes_1014835.html
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