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Un Château dans l'air du temps

Avec ses 365 fenêtres, 52 cheminées, 12 tours, et 4 ponts, le château d’Haroué jongle avec le temps, égrenant jours, semaines, mois et saisons qui s’écoulent, irrémédiablement, inlassablement.

Jongler avec le temps, il est vrai que cela semble être le destin de ce château….ou celui de ses bâtisseurs. Le dernier en date ? Germain Boffrand (1720). L’architecte s’est vu confier la lourde tâche d’intégrer à ses plans les quatre tours et les douves de l’ancien castel médiéval.

Haroué offre aujourd’hui un aperçu de l’art français à l’aube du XVIIIe siècle mais également, se fait l’ambassadeur de l’âge d’or lorrain, présenté dans sa plus belle parure.





Les vitres baissées, un vent de fraîcheur afflue agréablement dans la voiture. Nous venons de quitter Nancy, ma ville natale, il y a une quinzaine de minutes, et déjà, s’annoncent de jolies courbes vertes et généreuses, tandis que quelques toits rougeoyants parsèment le paysage telle des éclaboussures maladroites. Il y a des bois qui ébrèchent l’horizon - ceux où, petite, je venais tantôt cueillir le muguet, tantôt explorer une profonde forêt peuplée forcément de lutins et d’animaux mystérieux.

Arrivés à Tantonville, nous tournons à gauche, la route s’allonge, on aperçoit le Château. Encore à gauche et à gauche et nous voilà garés. C’est un petit bijou posé dans un écrin de verdure qui se dévoile à nous. Mon père me rappelle plus ou moins subtilement le temps où j’étais indifférente aux beautés lorraines qui m’entourent : « Ce n’est pas faute de t’avoir proposé maintes fois des visites ».

Ma moue lui répond presque naturellement : « qu’est-ce qu’on peut être bête lorsque l’on est jeune ! ».


Cette Lorraine si douce, si calme telle qu’elle m’est présentée en ce samedi matin tend à nous faire oublier son passé tumultueux : souillée par les guerres, piétinée, reconstruite, le sort maudit d’une terre de frontière. Le château d’Haroué lui-même en témoigne. D’ailleurs, l’étymologie de son nom l’évoque finement - en patois lorrain, « Haroué » signifie le « gué du seigneur ». En effet, localisé au sud de la Lorraine historique, le bourg s’impose en lieu hautement stratégique : le Madon, affluent de la Moselle, peut y être franchi à gué, de sorte que, dès le XIIe siècle, une maison forte contrôlait le passage des troupes.

Du passé composé … ?

En 1438, ce « fort chastel » est assiégé par Antoine de Vaudémont : celui-ci va même jusqu’à le démolir. La famille, s’éteint néanmoins, sans successeur et cette parcelle de terre revient finalement à Jean de Bassompierre, gendre de Catherine d’Haroué. Lentement, le château, tel un phœnix, renaît peu à peu de ses cendres (ou plutôt de ses ruines) … mais le chemin pour y arriver reste long et laborieux, le projet ne se concrétisant qu’à la fin du XVIe siècle.

L’ancienne maison forte devient un palais de la Renaissance, grâce à l’architecte Nicolas La Hiere. La porte Bassompierre, entrée principale des communes, demeure le plus important vestige de cette époque.

François de Bassompierre (1579-1646), seigneur fastueux et maréchal de France, y naît. Son nom est pourtant lourdement entaché par son implication dans le complot de la Journée des dupes : comme punition, il subit douze années d’emprisonnement et meurt en 1646, sans postérité. Le château est alors laissé à son triste sort, pillé à maintes reprises. Ce tragique chapitre ne prend fin qu’en 1719, date à laquelle Marc de Beauvau Craon, grand connétable de Lorraine, et bientôt prince du Saint-Empire (1722), se voit autoriser par le duc de Léopold de Lorraine, son ami d’enfance, le droit de l’acquérir. Le nouveau prince veut en imposer : sa demeure doit forcer l’admiration et le respect. Il la veut grandiose, élégante : la parfaite « vitrine » de son rang. Il n’est donc pas étonnant qu’il confie sa construction à Germain Boffrand (1667-1754), élève et neveu de l’illustre Jules Hardouin-Mansart. Celui-ci réalise l’exploit de concevoir le palais (1720-1729) sur les plans même de l’ancien château fort. Les meilleurs artistes de l’époque viennent y travailler : le sculpteur Barthélémy Guibal et le serrurier d’art Jean Lamour, connus pour leur contribution à la place Stanislas de Nancy, ainsi que le peintre Pillement. L'architecte Gervais est sollicité pour l’aménagement des jardins.

Le château, à la fois chaleureux et distingué, accueille, dès lors, des célébrités dont les noms ont traversé les âges : Stanislas, Voltaire ou encore Chopin !


Toutefois, les problèmes familiaux ont raison de Marc de Beauvau (notamment la mort de son fils aîné, Charles) , qui décide de se séparer du domaine. Le mobilier est vendu, et le brasseur Tourtel se montre d’ores-et-déjà intéressé, notamment par les vastes caves, idéales pour entreposer le houblon. Valentine de Cayla, épouse d’Edmond de Beauvau (le fils cadet) le rachète in extremis, ne pouvant se restreindre à abandonner le domaine. Les salles, vidées de leurs trésors, sont peu à peu garnies avec goût par des pièces du mobilier personnel de Louis XVIII, héritage qu’elle tient de sa mère, feu grand amour du roi. Cayla est privée brusquement de son hériter : la mort lui arrache brutalement son fils unique. De nombreux procès s’ensuivent pour décider de la succession : c’est peine perdue ! Ces années de conflit interne déciment, en fait, toute possibilité de compromis.

Un saut dans le temps, nous emmène alors en 1920 : le château a sombré dans une torpeur profonde que rien ne présage de l’en sortir. Pourtant, une nouvelle figure tant singulière qu’affirmée fait son entrée dans la famille Beauvau Craon : il s’agit de Minnie Gregorini, alias « Minnie l’Italienne », qui épouse Charles-Louis, 6e prince de la lignée. Cette jeune beauté de 20 ans, ne se limite pas qu’à son doux visage et son apparence fort flatteuse : elle a effectivement un tempérament de feu et compte bien redonner vie à Haroué. C’est ici une autre renaissance pour le domaine : bientôt, son fils lui ajoute un parc à la française et le public peut, pour la première fois, pénétrer dans l’enceinte du palais magistral. En 1982, Minnie de Beauvau-Craon reprend le flambeau : elle est et demeure jusqu’à présent l’heureuse propriétaire du domaine.


Pour conclure ce fastidieux historique, sachez que depuis 2011, sa gestion a été confiée par contrat au Centre des monuments nationaux afin d’en élargir son attractivité : il s’agit en fait d’un partenariat entre la princesse, sa famille et l’Etat. Depuis 2021, des visites y sont d’ailleurs organisées afin de le valoriser tout particulièrement. Les paragraphes suivants vous décriront donc le parcours établi et destiné à tous les chanceux ayant pu consacrer un peu de leur temps à découvrir ce fabuleux héritage d’un temps lorrain glorieux.

Le présent du sublimatif …

Haroué, classé monument historique depuis 1983, continue de fasciner par sa remarquable architecture : construit en fer à cheval avec quatre tours d’angle, le château est aussi entouré de fossés d’eau vive. Le principal corps de logis est animé par un avant-corps central de trois travées de largeur, d’ordres ionique et corinthien, que vient compléter un fronton triangulaire armorié. Un péristyle, encadre la cour, longeant les ailes du château et supportant une vaste terrasse. Dès l’entrée, les grilles Jean Lamour donnent le ton : une magnificence restée sobre s’en dégage.




Il en est de même, pour l’intérieur, dont les pièces de mobilier présentes, sont donc en grande partie la commande de Louis XVIII pour le château de Saint-Ouen, cadeau à sa belle.

Le parcours de la visite commence dans le vestibule où ,se trouvent deux chaises à porteur : à droite en rentrant, celle de Marc de Beauvau-Craon (1679-1754), reconnaissable par un petit trou singulier au niveau du toit (lui permettant d’aérer le véhicule et de fumer sans craindre l’asphyxie) ; et à gauche celle d’Anne-Marguerite de Ligniville (1686-1772), son épouse, avec laquelle le prince eut 20 enfants. Treize survivront. Là commence également l’exposition de Béatrice Casadeus « Traverser la lumière » qui se poursuit à l’étage (jusqu’au 30 octobre 2022).


La rénovation de la chaise à porteur de Marc de Beauvau-Craon semble un peu plus marquée : celle-ci a été en fait rachetée à un bar, compromettant ainsi sa conservation.

Puis on passe au grand vestibule, cadre jadis de somptueux dîners et de parties de billard épiques.



S’ensuit un alignement de pièces impressionnantes : on admire, entre autres, un magnifique salon orné de tapisseries du XVIIe siècle ou encore une chambre d’apparat destinée à notre bon roi Stanislas.




Le rez-de-chaussée s’achève avec finesse et élégance, dans l’une des tours d’angle, avec son fameux salon chinois décoré par Jean Pillement (1728-1808). Notons que l’artiste avait déjà acquis une belle notoriété, en particulier en Angleterre, grâce à ses gravures et dessins d’ornementation.




A l’étage, d’autres salles impressionnent par leur somptuosité jusque dans le moindre détail.

D’abord, le salon Louis XVIII. On y perçoit du mobilier Bellangé, initialement conçu pour la favorite du roi (la comtesse du Cayla). Cette salle est illuminée par un somptueux lustre baccarat ainsi que, temporairement du moins, par deux portraits royaux de Stanislas Leszczynski et de sa femme, Catherine Opalinska, signés Jean-Baptiste Van Loo (1722). Ces tableaux sont un prêt exceptionnel du château de Versailles.

Plus loin, un autre salon tout aussi emblématique, aux précieuses dorures et aux inspirations venues de l’hôtel Lambert, nous ébahit davantage : le sublime salon doré, ou « salon Herbert » du nom de son décorateur originel. Cette décoration avait été conçue pour inciter Napoléon III, qui avait ses habitudes à Plombières dans les Vosges, de venir. Il ne s’y rendra finalement jamais puisque c'est dans cette pièce que le prince Charles de Beauvau, fils de Marc, y fit sa chute mortelle quelques jours avant l'arrivée de l'empereur. Tapi dans l’obscurité afin de garantir sa conservation optimale, l’éclatant revêtement mural se devine aisément, tout comme la table créée par Henri-Léonard Wassmus ou la « Dorothée » -- une large tapisserie du Second Empire conçue par la manufacture des Gobelins, où est contée l’histoire de Don Quichotte selon les cartons du peintre Charles Coypel.


Enfin, juste au-dessus du salon chinois, se trouve le « salon des cinq sens » : des nymphes peuplent les fresques du plafond, symbolisant le goût, l’odorat, la vue, l’audition et le toucher ; tandis que des anges en font très ouvertement la satire – « ça suinte » ou « c’est mauvais » semblent-t-ils notamment mimer.

La promenade au sein de ce « palais à la campagne » se clôt avec la visite du parc à la française et le jardin à l’anglaise : un doux épilogue où on se perdrait bien, tantôt à l’ombre des allées latérales, ou à l’extrémité du domaine, une vue dégagée du château y offrant le plus beau des panoramas, agrémenté, çà et là, par les sculptures de Guibal.




Informations pratiques :

TARIFS :

Tarif plein : 9,50 €

Groupe adulte : 7,50 €

Gratuité admise pour les demandeurs d’emploi, étudiants ou encore les détenteurs du Pass Education.

HORAIRES :

-D’été (avril à octobre) : ouvert tous les jours, excepté le lundi (fermé), de 10h à 18h avec :

> En semaine, des visites guidées à 10h30, 11h30, 14h30, 15h30 et 16h30

> Le week-end, à 10h30, 11h30, 14h, 15h, 16h et 17h

-D’Hiver (novembre à mars) : sur réservation uniquement

Journées de fermeture exceptionnelles : 1er janvier, 1er mai, 1er et 11 novembre, 25 décembre.

CONTACTS :

Tel : 07 85 64 37 11

Site disponible en cliquant ici.


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