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#1 Le métropolitain.

Dernière mise à jour : 22 juil. 2020

écrit en 2017.



Le son du coulissement de portes automatiques. Un son étrange mais pourtant devenu familier à plus d'un. C’est le son que notre esprit a volontiers assigné aux débuts et aux fins de journées.

C’est le cliquetis mécanique et strident de deux forces qui s'éloignent faiblement pour mieux se retrouver. C’est le début du brouhaha de la foule qui s'extrait du wagon et de celle qui la remplace; deux vagues contraires qui se heurtent dans un sens puis dans l’autre.

Et là, aux regards de tous, au milieu de cette scène de barbarie, plusieurs éléments viennent à se distinguer. Il y a la le petit vieux malheureux, le grand bobo qui parle fort, la top modèle aux contrefaçons, le gamin sportif transpirant, le tchatcheur shakespearien, le mendiant multi-talents, le pervers dégueulasse, les groupes de filles qui te dévisagent. Reconnais-tu ici l’homme pressé qui d'un souffle te fait ressentir toute l’impatience du monde? Et là, au coin, n’y-a-t’il pas cette petite peste insupportable qui vient de se précipiter sur le siège vacant que tu attendais depuis trois arrêts maintenant. Et elle mâche un chewing-gum en plus, la garce.


-coulissement, foule sortante, foule entrante, coulissement, le boum des deux portes -


Oui, le métro c’est un peu l’enfer de l’âme, la métamorphose d’une psychologie nouvelle. Tu deviens analyste à tes heures perdues, tu scrutes les moindres traits des visages qui circulent et ça te fait mal. Mal car d'un côté tu as les gens heureux tu vois, les gens qui auront toujours plus que toi et qui t’écrasent de leur sourire béat. Ça te fait chier de les voir heureux ces inconnus du métropolitain mais t’as beau les haïr, d'un courant d’air ils s'échappent à l’arrivée de la station Champs-Élysées Clemenceau. Et dans ton regard, tu perçois une autre catégorie de personnes. Ceux qui, comme toi, n'ont pas le sourire. Ils ont passé une journée de merde faut croire, à moins que ça soit la vie.


-coulissement, foule sortante, foule entrante, coulissement, le boum des deux portes -

Et tu te lances dans des réflexions complexes, tu te perds dans ce dédales d’idées noires, tu te crois philosophe et détenir le sens des choses mais au fond, t’es pareille, tu comprends rien. T’es pas la hauteur, tu le seras jamais d’ailleurs. T’es une ratée, une ratée te dis-je.

-coulissement, foule sortante, foule entrante, coulissement, le boum des deux portes -


Reviens un peu à la réalité. Allez juste une seconde. Tiens le frotteur. J’en n’avais pas parlé. T’es confrontée à lui en ce moment. Tu crois que c’est un sac qui te frôle. Mais un sac qui caresse ça devient louche, surtout quand ce sac est très insistant. Tu te sens conne, t’as cru un moment que t’étais féministe mais quand faut ouvrir sa gueule, t’es paralysée comme jamais. De toute manière, tu n’arrives pas à te dégager, tu croules sous la puanteur nauséabonde ambiante, t’es prise au piège dans ce tourment de vies simultanées. Reste dans ta cage petit oiseau, de toute manière quand tu pourras enfin t’en dégager, tu ne pourras pas distinguer les traits de ton violeur. Belle échappatoire Place de Clichy.


La musique t’est rentrée dans la tête. Coulissement. Sortie. Entrée. Coulissement. Claquement.


Enfin une place assise. Et tes voisins de devant qui commencent à te regarder de travers. De toute manière, pas grave: tu es retournée aller jouer avec ton esprit qui se perd encore. Ici, quelques consignes de base persistent et tu te répètes ce refrain « Sers bien ton sac, c’est pas faute de dire qu'il y a des pickpockets » même si ton siège te donne cette impression ultime d’immunité. Et tu rajoutes « ne t’appuies pas comme ça, tu le sais bien ».


[…]

Un courant d’air, un dernier coulissement. La fin du voyage. Quelle heure est-il? Quelle distance encore te sépare de ton lit?

Et tes réflexions sont déjà lointaines, tu marches vers cette bouffée d’air frais.

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